Aller au contenu
« Dans le champ amoureux » à Espace libre : autopsie d’un désastre conjugal
Crédit: Eva-Maude TC

Le couple et ses oscillations : voilà un sujet qui déchaîne les passions, et qui semble être une source d’inspiration inépuisable pour les romanciers et les dramaturges. Nous savions déjà que, dans le cadre d’une pièce portant sur les aléas amoureux, l’œil acéré et le sens des dialogues assassins de Catherine Chabot résulteraient en un angle pour le moins original. Après les nombreuses limites franchies et les multiples rires générés par son œuvre précédente, la pièce collective Table rase, nous n’avons pas été déçus par sa nouvelle création.
 
Un couple blasé, usé par une décennie de rancoeurs et d’accrochages, vit sans le savoir ses derniers instants. Un soir l’homme, chargé de cours en philosophie, se prépare à aller boire un verre avec une jeune femme, avec qui il a eu une aventure auparavant. La femme, écrivaine, n’a pas tellement envie qu’il y aille, et le confronte à ce sujet. Son manque de confiance est nourri par une multitude d’incidents et une profonde insécurité, et ce dialogue qu’ils engagent mènera tout droit à l’éclatement de leur relation.
 
Voilà une joute verbale de haute voltige, un affrontement qui ne laissera personne indemne, et qui va creuser loin dans les coups bas. L’aspect cru des dialogues, qu’on affectionne particulièrement chez l’auteure, y est encore – et sert ici principalement à aiguiser des flèches particulièrement pointues. Ce n’est pas seulement la cruauté des deux amoureux qui est mise de l’avant, mais aussi leurs insécurités, leurs contradictions, leur ridicule. Et le point de non-retour est définitivement atteint.


 

La force de l’interprétation est indiscutable; Catherine Chabot, sur scène du début à la fin, se dévoile au public – dans tous les sens du terme – et passe par une multitude d’états. Traversée par une intense jalousie, elle joue avec brio les nuances de cette émotion qui empoisonne sa capacité de raisonnement, et qui la conduit à franchir des jalons d’insultes qu’elle aurait sans doute préféré ne pas avoir à explorer. Francis-William Rhéaume est particulièrement bien choisi pour interpréter cet intellectuel suffisant, qui se cache derrière les mots et la rhétorique pour excuser ses nombreux travers, réfléchissant tel un miroir les reproches de sa partenaire, amplifiant ce climat de méfiance qui s’installe inéluctablement.
 
Le spectateur aura du mal à ne pas se reconnaître à quelques reprises dans ces querelles incessantes, qu’on a malheureusement tous vécues à un certain niveau. Il passera aussi par toutes les gammes du malaise, confronté à du nu à répétition; un nu qui n’est toutefois jamais gratuit, et qui illustre à merveille la banalité que revêtent les corps que l’on connaît trop.

On ne peut cependant s’empêcher de trouver que les tirades, pourtant déclamées avec un agacement croissant des personnages, sont intellectualisées à un niveau qui frôle l’invraisemblable. Jusqu’à ce que le personnage de l’ami / ex, interprété par Fayolle Junior Jean dans un registre particulièrement bouleversant, le reproche carrément au personnage féminin, lui soulignant au passage qu’elle a oublié ce qu’était « avoir du fun ».
 
C’est donc devant un portrait criant de vérité qu’on se retrouve au final, avec de multiples références qui font mouche et le sentiment lancinant d’être interpellé personnellement par le drame conjugal qui se déroule sous nos yeux. Frédéric Blanchette se fait extrêmement discret dans sa mise en scène, laissant les acteurs se tourner autour comme des fauves, se provoquer et se condamner, laissant la pièce reposer presque entièrement sur ce texte vif et juste, débordant d’humanité brute et de lucidité.

Dans le champ amoureux est présentée au théâtre Espace Libre jusqu'au 25 novembre.

Plus de contenu