Dans Suie, il y a des corps nus, plus vulnérables que dérangeants. Il y a des malaises qui nourrissent l’expérience. Il y a aussi une sorte de désinvolture crue, pas raffinée. Une authenticité crevassée, salie, ponctuée de rien pantoute et d’indifférence. Et il y a quelque chose de touchant dans cette effervescence mal coordonnée, qui casse d’un beat à l’autre sans préavis.
Dans ce chaos, Dave St-Pierre réussit à créer des tableaux envoûtants qui mettent en lumière des corps chargés de lourdeur. Juste un peu passé la ligne du désoeuvrement et de l’abandon devant tout ce qu’ils semblent avoir anyways perdu. Dans une gestuelle exigeante et plombée, les interprètes Hubert Proulx, Bernard Martin et Anne Le Beau incarnent le dirt des sexes enfouis et des armes lacérantes. Ils incarnent tout ce qui tombe, déboule sauvagement et se fracasse la gueule jusqu’à l’inertie totale. Et ils le font avec beaucoup de générosité et d’intensité.
Et puis, on rit aussi. Des jappements d’un mignon petit chien assez (vraiment rien d’intense!), du décalage loufoque de certaines situations et de l’irrévérence à travers la tension. On doit aussi souligner le magnétisme et l’assurance farouche de l’interprète Anne Le Beau, aussi initiatrice de la pièce, ainsi que le travail numérique très efficace et esthétique d’Alex Huot.
À la suite d’une soirée somme toute intéressante pour l’intensité de ce battage médiatique, une question me reste en tête; Suie aurait-il eu une réception différente s’il avait été présenté chez un autre diffuseur, ou dans le cadre du FTA, par exemple? Je me le demande bien.
Dave St-Pierre m’est apparu attentionné et protecteur pour cette équipe qu’il semble tenir en haute estime. Une équipe pour qui, et avec qui, il se tient debout dans la controverse. Comme un chef de meute.
Après La pornographie des âmes (2004), Un peu de tendresse bordel de merde (2006) et Foudres (2012), Suie est une création qui semble encore en incubation et qu’on aurait tout de même souhaitée mieux ficelée. Elle mérite cependant qu’on s’y attarde pour sa proposition franche de nous salir le confort et de nous déstabiliser un brin.
Jusqu’au samedi le 11 février à la Cinquième Salle de la Place des Arts.