Concernant les actes de vandalisme dans Hochelaga.
T'es un jeune entrepreneur fougueux, t'es cool, t'es branché, tu look. Tes amis? Même histoire. Peut-être bien aussi que dans les 5 à 7, tu serres la main de gens cool et fougueux comme tes amis et toi.
T'as une idée. Un produit. Pour la concrétiser et te démarquer des autres commerces, tu sais fort bien que ça te prendra une identité visuelle à la hauteur de ce que tu comptes offrir. Tu ne saurais te contenter d'une carte d'affaires et d'un site web avec une photo pixélisée et préalablement agrémentée au lens flare, ou pire, une typo boboche sur laquelle on aurait appliqué un effet cheap de drop shadow. Idem pour le design intérieur et extérieur de ton commerce.
Je comprends. Je ferais pareil. J'ai étudié en graphisme.
De manière individuelle, quand on t'isole, on trouve peu de choses à te reprocher. T'es rafraîchissant et les efforts que tu as déployés sur ta boutique me donnent envie d'y entrer. Ça me parle. Je suis ta clientèle cible.
Mais voilà, je me dis que pour en arriver à ce résultat, tu as dû faire le tri dans ta tête, un repérage continu de façades de boutiques et de restaurants. Ton flair pour les tendances du moment est indéniable. D'avance, tu sais de quoi aura l'air ta boutique, mais surtout, tu sais à quoi tu ne veux pas qu'elle ressemble. Tu espères qu'elle ait de la classe et qu'elle n'arbore pas l'allure aride et défraîchie de la Tonkinoise du coin, par exemple.
Tu as jugé que des gens méritaient mieux que des commerces au look décrépit qui n'ont ni le sens de l'esthétique ni celui du branding. Que tu pouvais faire mieux pour ces gens. Que ta jeune présence serait accueillie comme un joyau parmi la laideur et la pauvreté.
Tu es propre, tu sens bon. Tu look merveilleusement. Tu sais comment séduire. À l'inauguration de ton commerce, tu as eu droit à de bien belles critiques dans les blogues et les journaux de la métropole.
Quand on te taxe de gentrification, tu avances que tu ne roules pas sur l'or. Peut-être, mais ta contribution à la gentrification de ton quartier opère indépendamment de l'argent que tu empoches à la fin du mois. Tu attires des gens beaux et propres comme toi. Des gens aisés, d'autres qui sont doués pour être confondus aux gens aisés. Des gens qui, grâce aux commerces comme le tien, envisagent de s'établir dans ce quartier qui les aurait sans doute autrefois rebutés.
Tu tends la main aux gentrificateurs. Aux hipsters et aux bobos. À petite madame et petit monsieur qui se sont découvert une seconde vie en 2010 quand on leur a fait savoir que syntoniser Radio-Can le matin et posséder un iPad avec en prime La Presse+ s'agençaient parfaitement avec les quelque 60 000$/année.
Tout ça tandis qu'on s'emploie à faire le grand nettoyage en sortant les pauvres et qu'on ignore le cri de ceux qui sollicitent des logements sociaux.
Ce n'est certainement pas le pawnshop au coin de ta rue qui convainc les bourgeois de s'installer dans ton quartier. Pas lui non plus qui se fait le plus rassurant quant à la paisibilité de l'arrondissement. Pas lui qui peut générer une tonne de clichés sur Instagram.
Quand on entend dire que quelqu'un s'est fait attaquer puis voler son téléphone en pleine rue, sur les médias sociaux les gens s'étonnent: Ah non! Mon beau quartier tranquille! — C'est comme si on venait à oublier que ce n'est pas la joie partout à Montréal, han? J'y vois là un truc violent. Comme si l'argent, les petits cafés chaleureux, les rocailles et les condos permettaient une séparation limpide et définitive entre les bourgeois et les pauvres. Les gens sans démêlés avec la justice et les criminels. Ah non! Les indésirables ont trouvé comment nous rejoindre! Retournez dans vos quartiers de pauvres!
Tu vois? Ces gens qui se paient une vie de quartier sereine les doigts dans les oreilles sont tes clients. Tu n'es pas l'unique raison qui fait qu'ils ont envie d'adopter ce quartier pour reproduire intuitivement leur environnement all over the hood. Mais certainement l'une d'elles.
Tu peux bien me répondre: et toi, Murphy, penses-tu vraiment que tu ne fais pas la même chose dans ton Verdun adoptif? Ma réponse sincère et spontanée sera: oui, je fais la même chose.
Pourtant, je suis pratiquement sans le sou. Je suis en retard de deux années avec l'impôt et Hydro-Québec m'a débranché en octobre dernier. Je m'habille principalement à la friperie Renaissance du coin, mais voilà, mes choix de vêtements ne sont pas anodins. On s'en fiche que je vive au seuil de la pauvreté. Mon veston peut bien m'avoir coûté 7$, l'image que j'affiche sur les médias sociaux exprime autre chose. Lorsque je sors de l'appartement, mon apparence dit autre chose. Le café que je tiens dans ma main n'est pas en phase avec ma réalité financière.
C'est bien malgré moi si dans mon front il est inscrit en CAPSLOCK et caractère gras: HEY LES BOBOS, VENEZ VOUS ÉTABLIR ICI, VERDUN N'A PLUS LA RÉPUTATION D'ÊTRE SALE ET MISÉRABLE, ELLE EST CLEAN MAINTENANT, DÉPOUILLÉE DE SES POUILLEUX.
Je pourrais même pousser l'odieux jusqu'à me prétendre moi-même victime de l'embourgeoisement de mon quartier. Après tout, quand je me suis établi ici, Verdun était bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Maintenant, les loyers sont bien moins abordables.
Mais si je m'exempte de toute responsabilité, que mes voisins font pareil et que les commerces emboîtent le pas aussi, qui alors contribue à l'embourgeoisement? Personne? Tout le monde s'en lave les mains et personne ne gentrifie?
C'est bien dommage que des commerces aient été vandalisés, et pour être franc, je n'ai pas de solution à offrir. Mais bien plus dommage encore, ce sont ceux qui s'empressent de dénoncer avec véhémence les actes de groupes anarchistes sous prétexte que ça ne résoudra rien. Peut-être avez-vous raison. Qui sait? Peut-être pas non plus. Mais sacrament. Ôtez vos œillères, les mononcles, et cessez donc de pleurnicher spontanément à chaque fois que vous entendez parler aux nouvelles qu'un commerce a été la proie du vandalisme.
Vous me faites penser aux jeunes trentenaires aigris qui appellent la police dès que des adolescents un peu agités causent un peu de vacarme passé minuit.