On croyait que c’en était terminé. Que les féministes avaient tellement perdu en crédibilité qu'elles-mêmes avaient fini par réaliser que la manière de faire minait grandement à la cause. Que si elles devaient poursuivre dans cette voie, plus jamais on n’accorderait le moindre sérieux à leurs revendications.
Il y a eu des moments d'accalmie qui ont pu faire penser à cette résignation. Des moments où on abordait encore le viol sur l'espace public sans toutefois brandir la carte de la culture du viol.
La culture du viol. On commençait à l'oublier, celle-là. On en parlait si peu dans les derniers mois qu'on est peut-être allés s'imaginer que même celles et ceux qui nous ont martelé son nom depuis 2012 s'étaient résolus à ne plus lui reconnaître sa légitimité initiale. Comme si, avec bien du recul, les féministes avaient dû admettre, malgré elles, qu'il s'agissait en fin de compte d'un bien beau délire pernicieux.
Je dis « on ». « On », ce sont les négationnistes de la culture du viol. Les antiféministes, Mascunazis et membres en règle du Mascu Klux Klan. Les animateurs de radio-poubelle. Déconcertés, foudroyés par le retour en fracas de l'ouragan « Stop la culture du viol», la semaine dernière, plus solide, plus déterminé et pouvant compter cette fois sur un nombre inestimable d'adhérents.
Nos négationnistes croyaient vraiment en avoir fini avec ça. Ils ont poppé le champagne rapidement, pensant à tort avoir découragé les féministes ; les avoir réduites au silence. Ils en étaient même venus à en parler avec évidence, comme si enfin nous pouvions reprendre le cours normal de la vie, sans cris ni coups de pied. Un retour à la raison. Au revoir, les hystériques.
Hélas. Rentrez chez vous les mascus, la célébration est terminée. On vient bumrush votre party d'hommes blancs et crisser le feu à l'endroit.
Non mais c'est vrai, quoi. On vous a donné quoi, quatre ans pour au moins essayer de vous ajuster afin que tout le monde puisse se battre à armes égales? Qu'en avez-vous fait de ces quatre années-là? Oh, je vois. Vous êtes encore au même endroit. Encore là à vous obstiner pour une histoire de sémantique. Pour un mot qui vous bug. UN MOT.
Vous avez eu quatre longues années bien chargées en tumulte pour, au moins, tenter de reconnaître que la source du désaccord est un brin puérile et qu'il ne suffirait que d'un peu de bonne volonté pour arriver à s'entendre sur les divergences et vous avez fait quoi? RIEN DU TOUT. Vous avez pleurniché, comme d'hab. Disqualifié. Affublé d'étiquettes.
En admettant que le désaccord loge dans la sémantique ; que c'est le mot culture qui vous agace parce que vous en auriez choisi un autre. Mais que sur le fond, on pourrait aisément arriver à s'entendre. Pourquoi alors cette hargne? Vraiment, c'est le mot culture qui vous fait perdre votre calme comme ça? Le mot viol?
Et pourquoi d'abord, si on arrive à s'entendre sur le fond, n'avez-vous pas fait à votre tête et appelé ça « culture du consentement » ou « culture de la responsabilisation » ou « culture de il-y-a-des-filles-qui-disent-s'être-faites-agresser-et-je-n'arrive-pas-à-mettre-mon-orgueil-de-gorille-de-côté-deux-câlisse-de-secondes »? Je sais pas, moi. Faire l'effort de reconnaître qu'il y a manifestement un problème. S'entendre sur les désaccords. Passer par dessus les frivolités qui vous agacent. Pour l'amour de votre mère, de votre copine, de vos filles. Vous avez eu 4 ans pour faire évoluer votre pensée. QUATRE ANS. C'est pas rien. Et vous voilà ici, 4 ans plus tard, encore plus bornés et déterminés que jamais à causer du tort aux survivantes, les deux doigts dans les oreilles comme des enfants de 4 ans dans un Toys R Us.
Vous mettez vous dans les souliers des survivantes parfois? Après avoir trouvé le courage de, finalement, rompre le silence ; l'identité, la carrière, le visage et les atroces détails de l'agression sont rendus publics. Et il y a, par exemple, ce dude sur Twitter qui harcèle, fait inquisition sur elles pratiquement nuit et jour, et dont l'anonymat est assuré par une photo de chaton ou de BMW. Comment doit-on se sentir quand, d'une part, tout ce qu'on a de plus intime relève dorénavant du domaine de l'espace public, tandis que de l'autre, des inconnus qui visent avec acharnement à infirmer notre témoignage et à miner notre réputation ne sont même pas foutus de montrer leurs visages? C'est pas un peu creep tout ça? Personnellement, ça me donne des frissons d'effroi dans le dos.
Et pourquoi en faites-vous votre cheval de bataille? C'est ça qui m'inquiète. Comptez-vous faire une maîtrise en négation de la culture du viol? En faire une carrière? Pourquoi ce thème-là et pas un autre? Pourquoi autant d'énergie?
Faut vous mettre à notre place : aucun sujet ne génère autant de violence que celui de la culture du viol. Les hommes qui confrontent le font invariablement avec agressivité. L'approche se veut toujours hostile. Pas de place à la discussion. C'est violent ou c'est rien du tout. Avec injures ou c'est rien du tout.
Vous êtes même prêts à enculer un Centre Bell bondé de mouches jusqu'aux petites heures du matin tellement ce thème éveille chez vous la passion. La rage. Les coups de poing dans le clavier.
Quand vous n'étiez pas encore tout à fait initiés aux notions de culture du viol, je pouvais me mettre à votre place et tenter de comprendre pourquoi celles-ci vous donnaient de la difficulté à dormir. Je vous trouvais un peu bébés, certes, mais je m'efforçais de comprendre.
Le problème ici, c'est que, plusieurs années plus tard, on n'est plus à l'avènement du terme « culture du viol ». À ce stade-ci, s'opposer vigoureusement à son existence ne peut être reçu autrement que de la mauvaise foi.
Si vous vous étiez renseignés adéquatement — et ceci inclut les animateurs de radio-poubelle —, que vous aviez fourni l'effort de comprendre que les féministes n'évoquent pas ici une culture où tous les hommes seraient de potentiels violeurs, d'une culture où le viol serait impunément encouragé, voire applaudi par tout un chacun, peut-être bien que vous auriez saisi qu'on se bat tous contre la même esti d'affaire.
Mais vous ne l'avez pas fait. Vous n'avez pas pris la peine de vous mettre à jour.
Vous êtes encore là, comme à vos toutes premières fois, à vous servir d'un crisse de mot qui vous titille comme prétexte pour vous opposer farouchement à ce qui vous semble être une idée farfelue de l'extrême-gauche.
Mais la culture du viol n'a ni camp ni agenda. Rentrez-vous ça dans vos crisse de têtes de mononcles bornés. Le viol, ça concerne tout le monde.