Le nom du restaurant avait piqué ma curiosité. Ouvert il y a à peine un mois sur la périlleuse rue Saint-Denis parsemée de cônes orange, le nom du restaurant évoquait pour moi terroir québécois, plats rustiques, chemises de bûcheron, musique de la Bottine Souriante et ambiance un peu dark. Mais à part le logo, et une cuisine qui fait honneur aux produits québécois, le restaurant se tient loin des clichés de la légende fantastique, dont il porte le nom. Surprise au final, mais vraiment pas déçue !
Le décor
Le restaurant est situé au sous-sol d’un établissement. Dès qu’on y pénètre, on remarque trois choses. Primo, le local n’est pas très grand, il est fait sur le long plutôt que sur le large. À gauche, le bar avec une cuisine ouverte, et à droite la salle à manger. En tout, seulement une cinquantaine de places. Deuxio, l’éclairage et l’ambiance dégagent un côté très chaleureux. Des ampoules à lumière jaune, des tables et des chaises en bois de style contemporain, des murs de brique, des étagères remplies de belles bouteilles de vin sur le mur du fond, un décor à la fois minimaliste et efficace qui fait très resto de quartier. Tertio, pas vraiment de lien apparent avec le fameux récit d’Honoré-Beaugrand, si ce n’est qu’on sent déjà la magie opérer dès qu’on met les pieds dans ce restaurant.
Le concept
Les trois propriétaires, Vianney Godbout, Christian David et Carl Gauthier, n’avaient jamais touché à la restauration avant. Mais Vianney avoue qu’avoir un restaurant est un rêve qu’il caressait depuis longtemps. Un rêve qu’il a pu voir se réaliser suite à sa rencontre avec le chef Claude Le Bayon, qui était à ce moment-là aux cuisines du Sinclair. « J’ai rencontré Claude bien avant, du temps du défunt Bistro Apollo, où je venais souvent manger. J’aimais beaucoup sa cuisine et surtout sa façon de travailler. C’est un chef qui a beaucoup de créativité et une discipline de fer. Plus tard, quand je lui ai dit que j’aimerais ouvrir un restaurant avec un chef comme lui, il n’a pas hésité à se joindre à mon projet ! » La complicité est d’ailleurs évidente entre les deux. De plus, il règne une joyeuse camaraderie en cuisine. On sent que l’équipe a du plaisir à travailler. Et nous, puisque c’est une cuisine ouverte, à les regarder.
Crédit photo : Alison Slattery. Le chef Claude Le Bayon (à gauche) et Vianney Godbout-Lannister, un des proprios de la Chasse-Galerie, à droite.
Pourtant, ma question demeure : pourquoi le nom Chasse-Galerie ? Le chef est d’origine bretonne, son parcours est plutôt classique (il a travaillé au W à Paris et au Saint-Placide de Saint-Malo, tous deux restaurants étoilés Michelin), le design est plutôt contemporain, etc. « Dans l’histoire de la Chasse-Galerie, les bûcherons avaient été envoûtés par le diable et étaient restés boire et manger toute la nuit. C’est ce qu’on veut aussi, garder nos clients le plus longtemps possible en leur servant de la bouffe festive et du bon vin ! », explique Claude Le Bayon, le chef du Chasse-Galerie. Vianney ajoute que la chanson écrite par Michel Rivard pour la Bottine Souriante, nommée Martin de la Chasse-Galerie, « fittait » avec leur concept puisqu’il y était question de gens qui flânent rue Saint-Denis.
Je remarque alors que le logo, discret sur les menus, est en fait une représentation d’une scène de la Chasse-Galerie. Petit clin d’œil, qui m’est presque passé inaperçu.
Je choisis un cocktail inspiré de notre terroir qui porte le nom « La Forêt ». Une merveilleuse boisson mousseuse et délicate en bouche, qui ne goûte ni trop le citron, ni trop le thym, ingrédient qui évoque ladite forêt. Le barman sait y faire si je me fie aux cocktails que j’ai vus passer.
Les plats
Question bouffe, à quoi s’attendre ? On m’explique que les produits utilisés dans les plats et les cocktails proviennent à 90% du Québec. On me présente le type de cuisine comme une cuisine du marché, créative, gourmande avant tout. Voyons voir…
Sur la carte, nous avons le choix entre trois menus : « Le Découverte », 3 services (49$), « L’Épicurien », 6 services au choix du chef (69$) et le « Choisir, c’est se priver du reste », une dégustation du menu au grand complet, soit environ 10 services. (109$). J’opte pour le dernier choix ! #Yolo !!! Si on ajoute du vin, et des cocktails (d’accord, je l’avoue, j’ai cédé à la tentation !) on monte à 169 $. Soit à peu près le même prix, pour le même nombre de services, qu’au restaurant Le Mousso. Autre ressemblance avec ce restaurant, les plats qui ne sont pas décrits en détail, seulement les ingrédients principaux sont énumérés. Par exemple, l’entrée : L’Huître – palourdes, sorbet, salicorne. Et jamais deux sans trois : la vaisselle dont on se sert est la même que chez Mousso, les magnifiques assiettes de céramique provenant de chez Gaïa.
Entrée : L'huître. Tartare d’huîtres et de palourdes au Yuzu, espuma d'iode, sorbet huîtres, salicorne et bouton de marguerite.
Je me dis que cela tombe bien puisque j’adore le restaurant d’Antonin Mousseau-Rivard, le propriétaire et le chef du Chasse-Galerie aussi, semble-t-il. Voyons voir toutefois si leur menu est à la hauteur…
Les plats défilent : amuse-bouche, entrées, entremets, plats principaux… Des assiettes aux jolies présentations soignées. De petits doigts de fée ont permis de donner une touche élégante, presque féminine aux plats.
Un de mes plats favoris. Omble chevalier, maïs trois façons (en crème, soufflé et en grains), salsa rapinis, coriandre, oignons perlés façon pickle et sabline (herbe du Bas-du-Fleuve).
Les produits employés sont de première qualité, savoureux, frais et admirablement bien cuisinés. On utilise aussi des ingrédients d’exception, moins courants, comme cet oursin du Bas-Saint-Laurent. Il nous a été servi en amuse-bouche, sous forme de crème moussée, si délicate, si aérienne, si réconfortante. À ses côtés, une petite glace au sapin, très légèrement aromatisée, qui complète bien le plat et qui apporte un peu d’acidité et de fraîcheur pour équilibrer le tout.
Amuse-bouche : Crème d'oursins, oeufs de tobiko, émulsion combawa.
En général, les plats sont bien équilibrés. Le chef aime la crème et le beurre, sans aucun doute – c’est un Breton après tout ! – et il en utilise souvent dans ses plats. Par contre, toujours ce souci de bien harmoniser les saveurs, en y ajoutant une petite touche d’acidulée ou de croquant. Le meilleur exemple de cet équilibre est ce plat (un de mes favoris) de purée de pommes de terre aromatisée à la truffe, poêlé de champignons variés (pleurotes, pieds-de-mouton et cèpes) à l’émulsion de beurre noisette. Divin.
Ici, je n’énumèrerai pas tous les plats qu'on a servis. Si vous vous inquiétez pour mon estomac, ne vous en faites pas surtout, les assiettes étaient pensées en fonction du nombre de services, donc présentées en petites portions pour n’en savourer que l’essence.
Ce qui m’a sauté aux yeux, c’est qu’on utilise intelligemment les produits du Québec sans les dénaturer. Exemple : cette poitrine de canard de Barbarie qu’on m’a servie de la plus belle des façons. Cuisson « su’a coche », harmonie parfaite des saveurs avec sa compote de chutney aux pommes et ses baies d’argousier qui ajoutent un peu d’acidité au gras du canard. Et une chip de peau de canard pour y incorporer le côté croquant.
Le dessert aussi fut fabuleux et léger. Une crème de yogourt de brebis, servie avec une gelée de fraises très goûteuse, une pointe d’estragon et du poivre des dunes pour la relever.
Au final, je dois dire que je me félicite d’avoir pris l’accord mets et vins, car ces derniers étaient tout à fait délicieux et magnifiquement choisis pour les assiettes. Une carte des vins d’ailleurs qui ferait rougir d’envie d’autres restaurateurs, et dont une version plus longue et plus sélecte existe (demandez à voir le Grand Livre). Bravo pour ces choix faits de concert avec l’agence Société de Vins Fins !
Au final, ce que j’en ai pensé ? Le restaurant vient d’ouvrir il y a à peine un mois. Déjà, cela promet magnifiquement pour la suite. Des petites choses que j’ai moins aimées ? Oui, bon, mais je ne voudrais pas en faire un plat, car c’est très subjectif : des préparations parfois un peu trop salées et concentrées, comme le sorbet à l’huître en entrée, une utilisation un peu redondante (à peine) de glaces et sorbets en accompagnement. Et puis, je me suis régalée sans me sentir trop bourrée. Effectivement, il y a quelques ressemblances avec le Mousso, mais c’est tant mieux, car on en veut davantage de ce genre de restaurants qui allient saveurs, créativité, côté festif, utilisation (et non-surenchère) des produits québécois. Je crois que la magie de la Chasse-Galerie a définitivement opéré sur moi. Très hâte de goûter au nouveau menu qui va changer tous les mois.
La Chasse-Galerie
4110 rue Saint Denis, Montréal