Donald Trump, c’est ce dude égaré qui atterrit par je ne sais quel miracle sous tes publications pour commenter les pires inepties de la terre et avec toute l’assurance décomplexée qu’on reconnaît à une brique. C’est l’analphabète politique qui, malgré que tout semble le dépasser largement, va se permettre de confronter des professeurs de philo, des chercheurs universitaires, des réputés chroniqueurs et journalistes ou encore des experts dans un domaine donné.
Rares sont les gens qui prendront l’énergie et la peine de lui répondre. Il ne mérite pas qu’on s’attarde à lui, dira-t-on. N’en vaut pas le coup. Perte de temps. Alors on l’ignore. On le snobe. On fait fi de son intervention.
Pire encore, il gêne. Que penseront les collègues, potentiels lecteurs et rivaux ? Que ma plume attire ce type de monde-là ? Que mon lectorat n’en est pas un de qualité ? Et si je prends le temps de répondre à ses faussetés scandaleuses, je m’abaisserai certainement à son niveau. Je cours alors le risque qu’il m’amène contre mon gré sur son terrain où je donnerai l’impression d’un jeune cégépien crédule qui apprend à lire Kant pour la première fois. Mais moi je comprends Kant depuis 15 ans au moins déjà. Je suis prof, ciboire ! Non seulement je connais bien Kant, mais je l’enseigne. Mon statut ne me permet pas de répondre à cet irrévérencieux qui n’a probablement jamais même pensé ouvrir un bouquin de sa triste vie. Qu’il retourne aux études, si vraiment il veut apprendre.
Allons-y pour « fuck off ». Pas de temps à perdre. Je ne puis me permettre de répondre aux gens qui ne parlent pas le même langage que moi. J’ai trop à perdre. Une réputation à préserver. Une vie à vivre.
Trop important pour que les gens puissent aller s’imaginer qu’on accorde à ce sans-diplôme le sérieux qu’il mérite. Pas même question de lui répondre sèchement : ce serait de reconnaître son existence. L’idée, je le répète, il gêne, il fait honte, c’est de faire comme s’il n’avait jamais mis les pieds ici. Lui lever le nez et se contenter de ne communiquer qu’avec les gens qui parlent la même langue. Avec ceux qui, d’avance, sont déjà aptes à capter le message.
On shame à tout va monsieur-madame-tout-le-monde de ne s’en tenir qu’à des TVA Nouvelles et des Wal-Mart, mais on s’entête à ne pas lui faire parvenir l’information dans des mots qu’il serait en mesure de saisir. On lui rit à la figure face à son incompréhension de concepts qui, pourtant, nous ont mis du temps à assimiler. Comme si on oubliait qu’avant de savoir, quelqu’un de qualifié a dû prendre le soin de vulgariser ces concepts pour nous. En échange d’argent. L’argent qu’on a bien voulu lui verser.
À vous voir aller, tout le monde devrait avoir lu les mêmes bouquins, tout le monde devrait être même endroit au même moment. Tout le monde devrait pouvoir affirmer que Richard Martineau est un con sans que personne ne lui explique pourquoi. Tout le monde devrait s’entendre sur les mêmes évidences. Comme si, du coup, le système d’éducation n’était plus défaillant. Comme si 53 % de la population n’avait jamais été analphabète fonctionnelle. Comme si tout le monde bénéficiait sans problème de l’égalité des chances.
On n’a plus des philosophes dorénavant, ce que nous avons, ce sont des stars de la philo. Des gens excessivement condescendants qui calculent méticuleusement ce qui pourrait nuire ou non au branding. Qui hiérarchisent à l’ère de la démocratisation de l’information. Qui refusent que la plèbe prenne part à la discussion même si cette dernière est en mode public.
Qui sérieusement prendrait le risque de débattre avec ses trolls ? Qui oserait s’abaisser au niveau du mec dont la photo de profil est une voiture et qui n’a certainement jamais entendu parler de Kierkegaard ? Pas nos intellectuels, en tout cas. Le marketing du moi ne le permet pas. Surtout pas si on sait très bien que la planète entière nous observe et se plairait beaucoup trop à nous regarder trébucher.
Je dis souvent que, sur Internet, tout le monde a 14 ans. Je le crois sincèrement. C’est obligé. Suffit de mettre le pied sur le mauvais terrain pour que, déjà, il soit trop tard pour reculer. Personne n’échappe au tirage de cheveux et aux railleries gratuites et juvéniles. Personne ne peut se cacher sempiternellement derrière sa notoriété et ses diplômes. Tout est à recommencer quand on se retrouve devant un Jean-Gabriel de Rimouski pour qui « chroniqueur au Devoir » ne veut rien dire.
Tout le monde cherche à cacher qu’il a 14 ans, mais finit bien par se trahir éventuellement. La manière la plus sûre est, bien entendu, de snober. De lancer un débat sans toutefois nourrir la discussion. Cela permet, pour un moment, de s’élever au-dessus de la mêlée. De cracher sur les sous-éduqués du haut de la tour d’ivoire.
Au final, on tient dans l’ignorance des gens non outillés qui, pour une fois depuis des lunes, cherchent, maladroitement certes, à discuter. Regardez ce que ça donne. Ces gens se rangent massivement derrière Trump. On a beau dire de lui qu’il est dangereux, qu’il est idiot, qu’il ment ; rien ne fait quand on ne dispose pas des outils qui permettent de comprendre. Ils se sentent encore plus cons quand on dit de leurs héros qu’ils sont cons et que personne ne se donne la peine d’expliquer pourquoi il leur faut penser ainsi.
Trump, c’est ce gars-là. C’est la voix de ces gens qu’on a snobés. Il s’est faufilé jusqu’à la présidentielle et pourrait même devenir président des USA dans moins d’un mois.
Autant cet homme serait une catastrophe mondiale si on devait lui remettre les clés des États-Unis, autant je ne peux réprimer cette joie immense de voir les snobinards patiner, s’abaisser à son niveau, contre-vérifier des énormités qui ne font aucun sens et vulgariser des concepts qui, pourtant, nous paraissent évidents. Je vois des gens qui d’ordinaire se donnent tellement d’importance devoir laisser tomber les masques et avoir finalement 14 ans eux aussi.
Des gens très sérieux pour qui préserver l’image est vital sont enfin forcés de dealer avec l’ignare fatiguant, agité et malhabile qu’on cherche normalement à cacher sous le tapis afin de pouvoir parler « entre semblables ».
Donald Trump, c’est (surtout) la faute des lettrés outrecuidants qui, tous les jours, s’emploient à tenir l’éducation en otage.
Je comprends mieux maintenant pourquoi, au fond, je souhaite secrètement que Donald Trump devienne le président des USA. Parce que j’aime donc bin vous voir pédaler, vous voir récolter ce que vous avez semé.