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Tomber en amour et s’haïr à nouveau
Crédit: Johana Laurençon
Je hais tomber en amour.

Une fois j’ai subi un traitement de canal qui s’est muté en infection de la gencive, ce qui m’a valu l’ablation d’une dent et j’ai trouvé cette expérience mille fois plus agréable et enrichissante que la dernière fois où je suis tombée en amour.
 
Ça commence toujours avec cette seconde maudite où je réalise que j’aime quelqu’un. Ce moment où je sais que mon quotidien serait considérablement enrichi si ce monsieur en faisait partie. Ce moment où je m’aperçois que mon cœur s’abreuve de certains détails comme son utilisation singulière de la ponctuation ou son visage qui s’illumine quand il me trouve drôle.
Fuck ; je suis dans la marde.
 
Les effets profondément désagréables de cette perte de contrôle émotive se manifestent de diverses façons. Physiquement, je remarque généralement une agitation inhabituelle de mes fluides corporels en présence de la personne désirée. Toute l’humidité que contient ma cavité buccale disparaît mystérieusement et se redistribue sous forme de sueur en quantité embarrassante sous mes aisselles, dans mes paumes, derrière mes genoux (?), me laissant la bouche et la gorge complètement asséchées.

Je deviens aussi extrêmement insécurisée quant à mon apparence physique. Voici une courte liste de questions que je me suis déjà posées lors d’une date avec quelqu’un de désiré :
« Est-ce que cette robe me fait un gros dos? »
« Est-ce que mes coudes trahissent mon âge? »
« Si j’ai des crottes d’yeux, à partir de quelle distance pourrait-il les remarquer? »
« Aimera-t-il mes omoplates? »
 
Mais le pire, c’est l’insécurité émotive que ça provoque. Je révise méticuleusement mes médias sociaux. Mes selfies doivent être nonchalantes. Mes statuts doivent être drôles et mes interactions doivent faire preuve d’un sens de la répartie irréprochable.

Je suranalyse chacune de ses paroles, de ses interactions, de ses délais de réponse. Ce point d’exclamation, c’est de l’enthousiasme ou de l’exaspération? Mon Dieu, faites qu’il n’utilise pas l’expression « fam » car j’ignore ce que ça veut dire.
 
Je l’aime, je veux le lui dire, mais je ne maîtrise pas la stratégie de la séduction. Je ne comprends pas ces règles non écrites, les délais raisonnables pour répondre à un texto, le nombre maximum de photos à liker, à partir de quand avaler est considéré hawt et pu slutty.

Ce qui me fait le plus peur, c’est le moment où je dois lui dire que j’ai du bagage. Je fais attention à la façon dont je le dis. Faut pas que ça sonne pathos parce que ça ne l’est pas. Parce que même quand ils sont bien gérés, les daddy issues sont souvent associés à des stéréotypes de marde.
 
Depuis que je suis petite, en tant que femelle, on me dit que le but ultime de ma vie c’est de plaire assez à un dude pour qu’il veuille bien partager une hypothèque avec moi et m’inséminer de bébés.
 
Or, depuis que je suis féministe, je m’applique patiemment à me libérer de cette pression. Chaque jour je combats de toutes mes forces mes insécurités corporelles. Je m’oblige à assumer tout ce que je suis, parce que c’est ma responsabilité d’essayer. D’oser dire au monde entier « Je ne suis pas obligée d’être belle ni de plaire à qui que ce soit sauf à moi-même. »
 
Sauf que quand je tombe amoureuse, je me retrouve malgré moi dans cette position tant de fois combattue : je veux plaire à un dude. Je veux qu’il m’aime. Pire : je veux qu’il me préfère à touttteees. Je veux qu’il approuve mon intelligence, mon apparence, mes jokes de pet, mes défauts et mes faiblesses. Je veux être « assez » pour lui.
Cette vulnérabilité me prend de façon fulgurante et cherche à anéantir tous mes précieux efforts pour me considérer « assez » pour moi-même.
 
Bref, tomber amoureuse, c’est me haïr à nouveau. Et c’est atroce.
 
À ce jour, je n’ai trouvé que deux solutions pour adoucir l’acceptation forcée de cette vulnérabilité et de ce manque de contrôle.
 Le premier, c’est de cultiver ma solitude entre deux peines d’amour. Apprendre à être bien seule, à être gentille avec moi-même, ça me donne l’impression d’avoir un plan B infaillible en cas de rejet. Si je me fais crisser là, je souffrirai moins si la solitude ne m’intimide pas.
 
Deuxièmement, lorsque je doute, je me pose la question suivante : « Ai-je fait de mon mieux? » Ai-je été sincère? Ai-je été authentique? Si je réponds oui, ça m’apaise.
J’ai fait ce que j’ai pu.
 
Je reste « assez ».
 

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