Quand je me suis enfin décidé à faire de la vidéo — du vlog — vers la fin de l'année 2012, je me suis mis à dos une bonne partie des lecteurs qui me suivaient depuis l'avènement du Détesteur en 2009. Je savais bien pourtant que je les perdrais. À les observer mépriser chaque personne qui sortait le téléphone de sa poche pour enregistrer une vidéo destinée à être publiée sur les médias sociaux, il fallait prévoir que je n'allais pas, moi non plus, échapper au snobisme.
Même à l'époque où Gab Roy était encore turbo-clean (du moins, c'est ce qu'on croyait) et ses vidéos d'humeur supra-inoffensives, on voulait déjà l'abattre. Pour le format qu'il avait choisi: la vidéo. Idem pour les Jay St-Louis et Matthieu Bonin qui se sont fait connaître par l'entremise du vlog.
Il y avait une sévère haine pour les gens qui se mettaient à la vidéo. Comme si l'idée qu'un dude se filme lui-même pour partager une opinion/anecdote dissimulait un amour propre incommensurable. Puisqu'il va de soi, oui, qu'il faille au moins se trouver un brin intéressant pour aller jusqu'au bout du processus et finalement mettre en ligne ladite vidéo. Et en solitaire comme ça, en l'absence d'équipe, de budget et d'approbation externe, il faut apprendre à se faire confiance. Et cette confiance est bien souvent confondue avec un narcissisme démesuré.
Les vlogueurs et les youtubeurs ont longtemps été marginalisés, snobés, exécrés. Et comme j'en fais mention plus haut: j'étais bien au fait de cette hostilité à leur endroit. En emboîtant le pas à mon tour je savais ce qui m'attendait.
Des collègues blogueurs et journalistes m'ont tourné le dos et certains même sont allés au front sur les ondes de la radio nationale pour déverser toute la bile du ciel sur ma tête et celles de connaissances et amis, pour se moquer des plus jeunes gens qui oeuvraient au sein d'une communauté de youtubeurs sans pourtant causer préjudice à qui que ce soit. Surtout, pour parler à travers leur chapeau. Puisqu'en les entendant talkshit dans une gloussante complaisance partagée avec leurs collègues, il apparaissait évident qu'ils n'avaient même jamais pris quelques secondes de leur temps pour se renseigner. Pour essayer de comprendre.
De vieux, mais pourtant pas si vieux blogueurs et journalistes aigris qui se plaisaient à cockblocker la jeunesse, lui faire mauvaise presse. Parce que la vidéo c'est un sport de vaniteux, la vidéo c'est l'insignifiance qu'ils scandaient sur toutes les tribunes. La vidéo c'est pour les gens qui s'aiment trop.
Alors pendant un moment, tout le monde traînait avec lui dans sa poche un engin révolutionnaire qui permet, entre autres, de faire de la vidéo, mais tout le monde craignait d'être celui qui pourrait donner l'impression de trop s'aimer. Alors tout le monde finissait par céder à cette tyrannie de la pudibonderie avant même que se rende jusqu'à sa tête l'idée de sortir le téléphone de la poche.
Tout le monde se privait de faire de la vidéo.
Les gens ont tellement peur qu'on dise d'eux qu'ils s'aiment trop qu'ils en développent une malsaine obsession et veillent à ce que personne d'autre ne s'aime trop non plus. C'est vrai: si eux-mêmes ne se le permettent pas, c'est pas vrai que des inconnus vont trop s'aimer à leurs places.
La devise: mieux vaut réprimer de folles envies de se renouveler plutôt que d'avoir l'air de trop s'aimer.
Je me disais souvent combien c'était risible. Je regardais les vieux blogueurs et journalistes aigris cumuler du retard, mais pourtant faire la loi en même temps. Voyons donc qu'on pouvait autant lever le nez sur des gens qui se rendent vulnérables en s'adressant à des milliers de personnes le visage découvert avec le courage des idées qui sont les leurs. Comment pouvait-on ne pas daigner s'intéresser à ce qui, manifestement, était en train de dessiner l'avenir (c-à-d, aujourd'hui)? Pourquoi autant de hargne, de mépris pour les vlogueurs et youtubeurs?
Aujourd'hui, la vidéo est plus que jamais mise de l'avant, notamment avec Snapchat et les récentes fonctionnalités de LIVE offertes par Facebook. Et dernièrement il y a un soudain boom d'adhésions à snapchat chez les mononcles/matantes québécois-es paniqué-es par leur incompréhension de l'application après qu'on leur ait fait remarquer qu'à force de cracher sur la jeunesse aussi longtemps ils se sont matantatisées/mononclisés. Pour qui le temps presse. Visiblement.
J'ai retenu le nom et le visage de ceux et celles qui nous ont injustement traînés dans la boue, marginalisés, exécrés et je les regarde aller avec leurs malaisantes photos de profil tirées de snapchat (LOL, qui pensez-vous berner?). À devoir finalement se mettre à la vidéo. Se partir une chaîne YouTube. Faire du LIVE qui n'intéresse personne. Une story snapchat absolument boring. Et faire comme si. Complètement clueless de tout. Après tout ce temps. Mais on le sait. On sait combien c'est fake, combien ils ont l'air mononcles et matantes à trop essayer. À trop vouloir s'intéresser aux trucs de JEUNES. Pas confortables du tout.
On sait qu'ils luttent pour se convaincre qu'ils sont encore pertinents. Et j'aime penser qu'ils savent de leurs côtés que tous ces jeunes et collègues sur qui ils ont craché les observent caca-courir dans tous les sens, sourire en coin.
Tristement pathétiques.
Vous savez très bien que c'est la jeunesse nettement mieux qualifiée qui devrait prendre votre place. Cent fois plus curieuse et polyvalente. Ce récent intérêt pour Snapchat que vous démontrez est turbo cute, mais ce n'est plus suffisant. Tellement de choses vous dépassent maintenant et votre incompréhension de Snapchat est seulement le plus protubérant, révélateur, de vos symptômes.
Cracher sans cesse sur les gens qui osent n'est malheureusement pas une méthode efficace pour échapper à la péremption.
Tassez-vous donc, les jeunes sont là.