Assis à quelques sièges de Michel Tremblay, on a pu l’observer du coin de l’œil, alors qu'il regardait avec fascination sa mère renaître sous les traits de Guylaine Tremblay, qu’il éclatait de rire en réentendant une réplique merveilleuse exagérée de sa Nana et qu’il semblait savourer les réactions de la foule, complètement sous le charme d’Encore une fois, si vous permettez.
Il était impossible de ne pas avoir une pensée attendrie pour Rita Lafontaine, trois soirs après son décès, alors que l’actrice avait fait sienne la Nana de Tremblay pendant des décennies. Pourtant, il a suffi d’un regard et de quelques mots pour que les centaines de spectateurs se fascinent pour la Nana d’une autre Tremblay, celle de Guylaine.
Dès les premiers instants, l’actrice plonge corps et âme et cœur et tout ce qu’elle possède de fibre et d’émotions pour incarner la mère de toutes les mères, la grand-mère, la tante, la voisine, la Québécoise d’hier et d’aujourd’hui, dans toute sa splendeur.
Cette maman qui n’a jamais vu son p’tit gars passer de l’autre côté, celui des artistes du théâtre, de la télévision et du cinéma. Celle qui n’a jamais entendu ses propres répliques se répercuter sur les murs d’un grand théâtre, où la foule a le sentiment de retrouver une parente aimante, de réentendre une maman débordant d’amour et de mauvaise foi, de savourer avec un plaisir coupable chaque histoire magnifiée et chaque punch savamment lancé. Une mère que l’auteur rêvait d’entendre encore une fois…
Soutenus par la sobriété des décors et la fine compréhension du metteur en scène Michel Poirier, les mots du dramaturge n’ont pas besoin de grandiloquence pour nous captiver. À travers les anecdotes de Nana, une femme qui a toujours passé par 46 chemins pour éviter de plonger dans l’intime, Tremblay évoque son instinct maternel exacerbé, son beau-frère soporifique, sa belle-sœur ratoureuse, sa nièce insupportable, l’espoir que les vedettes de la télé pensent à elle quand elles vont se coucher, les livres qui la font rêver malgré les efforts de son fils pour en exposer les failles et les contradictions, avant de s’ouvrir sur ses peurs : celle de mourir, de laisser son mari derrière elle, de savoir qu’on son p’tit dernier n’est pas encore « casé » et d’imaginer qu’on puisse un jour l’oublier.
Ainsi, après avoir ouvert le cœur des spectateurs avec une avalanche de rires, le tandem Tremblay-Tremblay le fait éclater avec un tableau qui provoque un lot de reniflements, de respiration saccadée et d’yeux mouillés. Une raison de plus pour constater à quel point le talent de Guylaine est sans limites et qu’il est parfaitement inutile de comparer sa Nana à celle de Rita Lafontaine et celle de Louison Danis.
Le travail de Guylaine Tremblay est à ce point médusant que son vis-à-vis, Henri Chassé, semble lui-même spectateur de sa partenaire de jeu. Bien que son personnage, un alter ego de Michel Tremblay, soit présenté comme un narrateur qui revit certains pans de sa vie, on a souvent l’impression qu’il est impliqué à moitié, trop occupé à repenser à un événement plutôt qu’à le revivre pleinement. Un choix ayant pour conséquence de faire diminuer la tension émotive de façon bien maladroite.
Rassurez-vous, il s’agit là d’un bien petit bémol qui se noie dans un amoncellement de tendresse, de bonheur, d’éclats de rire, de larmes, de souvenirs par procuration et d’un désir, viscéral et profond, de revoir Guylaine Tremblay rejouer Nana.
La pièce « Encore une fois si vous permettez » sera jouée chez Duceppe jusqu’au 14 mai 2016.