« Il n’y a pas de société parfaite, mais ce que j’essaie de créer ici, c’est une société neutre, égalitaire et équilibrée. » De passage à la Galerie Arsenal le matin avant l’ouverture de sa nouvelle exposition, Neutralité, le créateur pluridisciplinaire Rad Hourani prend le soin de bien décortiquer la démarche ayant nourri son ambitieux projet d’exposition. Un projet qui synthétise à merveille l’essence de son travail. Mais surtout, un projet tout à fait en phase avec l’image de son créateur : épuré, élégant, personnel, sensible et inclassable.
Cette « société » à laquelle les visiteurs sont invités à adhérer jusqu’au 17 janvier prochain détonne de l’écosystème mondial, car Hourani la définit comme étant « sans genre, sans âge, sans race, sans limite et sans conditionnement ». Regroupant peintures, sculptures, photographies, costumes et vidéos, les œuvres du créateur – entré dans l’histoire de la mode en 2013 pour avoir été le premier designer à présenter une collection de haute couture unisexe – prônent l’anticonformisme et encouragent une liberté des plus totales. Timbres sans valeur monétaire, formes géométriques rappelant des signes routiers sans avertissements, drapeaux faisant abstraction de nationalités, cadres de portes arborant des messages inclusifs («All Genders», «All Skin Colours» et «All Social Classes»), podium avec trois dispositifs de la même hauteur… L’artiste autodidacte a voulu offrir sa vision très personnelle (et, avouons-le, assez utopique) d’un monde meilleur. « J’ai toujours détesté la compétition à l’école quand j’étais jeune, cette idée qu’il y avait un premier de classe, un 2e, un 3e et ainsi de suite », explique Hourani devant ces trois trophées de couleurs or, argent et bronze. « Je n’aimais pas ce sentiment d’être toujours comparé à l’autre. Ne serait-ce pas possible de construire sa propre estime de soi sans devoir classifier ou comparer, mais plutôt avec l’expérience acquise de chacun? »
Michael-Oliver Harding
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Depuis qu’il s’est lancé dans la création il y a déjà 10 ans, l’univers de la mode ainsi que les mœurs de la société occidentale ont énormément évolué. Hourani, qui demeure le premier couturier à avoir mis de l’avant une collection entièrement unisexe, a été beaucoup cité dans les médias récemment, alors que le mouvement transgenre connaît un moment charnière, avec la célébrité de Caitlyn Jenner, ainsi que la visibilité accrue de mannequins transgenres telles qu’Andreja Pejic, Hari Nef et Lea T. Plusieurs marques – notamment 1.61 de Kimberly Wesson et Aimee Cho, ainsi que Nicopanda, marque de streetwear de Nicola Formichetti – s’inspirent aussi du concept de design unisexe. Hourani a lui même été porte-parole de l’initiative Agender du grand magasin Selfridge’s à Londres. Que pense-t-il donc de ce changement drastique de ton dans la compréhension de l’identité de genre?
« Ce qui se passe en mode à l’heure actuelle est peut-être considéré comme ‘sans genre’ ou ‘gender-neutral’, mais cela n’est pas, à mes yeux, 100% égalitaire. Il s’en dégage toujours cette impression de vouloir habiller un homme un peu plus comme une femme et vice-versa. J’espère que ceux qui s’approprient l’idée du ‘sans genre’ pour en faire un mouvement de masse comprennent l’idée de base, et le font d’une façon équitable. J’espère qu’il ne s’agit pas que d’une tendance. Quand j’ai commencé dans le milieu, j’ai fait un an de recherches et d’études pour créer un patron unisexe, dans le but d’imaginer des vêtements pouvant se retrouver dans la garde-robe de quiconque. Je trouve qu’il y a encore des éléments qui sont trop féminins ou masculins dans ce que j’ai vu paraître récemment. Si vous souhaitez créer un vêtement unisexe, il doit être neutre, afin que n’importe qui puisse l’incorporer à leur style. »
Bruno Guérin pour Ton Barbier
Hourani remarque tout de même que le grand public se montre désormais beaucoup plus ouvert à l’idée d’une marque unisexe – chose dont tous se réjouir. « Quand j’étais à mes débuts, je disais aux membres de la presse et aux acheteurs: ‘‘voici un morceau unisexe’’, et c’était un concept que la plupart d’entre eux ne pouvaient comprendre, puisque cela n’avait jamais été présenté auparavant : une collection haut de gamme et unisexe. Un T-shirt? D’accord. Des chaussures, un foulard ou des lunettes fumées? Oui. Mais jamais une collection entière, une vision complète pour une marque. Aujourd’hui, c’est fascinant de constater le nombre de gens qui connaissent, comprennent et incorporent cette philosophie à leur mode de vie. Ça me donne beaucoup d’espoir pour la suite des choses. »
Neutralité de Rad Hourani
Du 5 novembre 2015 au 17 janvier 2016
Arsenal | 2020, rue William | arsenalmontreal.com