Même si Dominic Champagne a promis d’enlever sa casquette de Greenpeace en mettant en scène l’un des plus grands classiques de la littérature, force est d’admettre qu’on quitte le TNM avec une question sous-entendue, mais très claire: que faudra-t-il pour que l’espèce humaine mette fin à sa dépendance à l’or noir? Il ne s’agit pas là d’un blâme, puisque la métaphore environnementale réside au cœur de l’histoire inventée par Herman Melville et adaptée à grand coup d’ingéniosité par Bryan Perro et Champagne.
Île de Nantucket, les rues sont noires, la nuit est froide et le jeune Ishmael rêve de s’embarquer sur un bateau. Il aspire aux grandes aventures, aux nerfs qui trépignent et aux images qui s’impriment au fond de son âme pour l’éternité. À travers ses yeux, on découvre l’univers des chasseurs de baleine, à bord du Péquod, le bateau mené par le capitale Achab, obnubilé par une soif de vengeance dans un combat l’opposant à la célèbre et gargantuesque baleine blanche, dont la férocité l’a laissé avec une jambe en moins et une balafre au visage.
L’apprenti et les hommes qui l’entourent s’activent sur une énorme structure de bois pivotante évoquant le bateau d’Achab, avec tout ce qu’il faut (cordes, mat, pont, projections symbolisant la mer au sol et au mur) pour nous plonger dans son monde en un clin d’œil.
Yves Renaud / Courtoisie TNM
La voix envoûtante de Frédérike Bédard contribue elle aussi à nous catapulter sur l’océan, elle qui enchaîne les vocalises lyriques pour évoquer le chant et les tourments des baleines, en plus d’emprunter les sonorités d’une chanteuse de taverne et d’une rockeuse lors des portions plus tragiques. Un exercice de transition vocale périlleux qu’elle réussit avec brio.
Ajoutons à cela une distribution extrêmement solide, menée tambour battant par la candeur émerveillée de Steve Gagnon (Ishmael), l’intensité de Jean-François Casabonne (Queequeg), la bonhommie de Sylvain Marcel (Stubb), la vulnérabilité de David Savard (Starbuck) et le tragique de Normand D’Amour (Achab), et vous avez ici bien des ingrédients pour un succès.
Toutefois, on ne peut faire autrement que d’émettre un bémol majeur à ce chant de louanges. Même si Bryan Perro et Dominic Champagne démontrent une maîtrise évidente de l’histoire et que les tournures poétiques capables de vous faire vriller l’âme sont nombreuses, la surdescription prend malheureusement le dessus sur l’action.
Yves Renaud / Courtoisie TNM
Près de 85 % du spectacle est composé de moments où l’on évoque la mer et ses affres. On annonce, on rappelle, on clarifie et on recommence. Lorsque les acteurs finissent par s’attaquer à leur première baleine, on ne peut que saluer la magnificence de leur exécution: en équilibre sur des planches et des barils, armés de moppes et de seaux d’eau. Le passage est fa-bu-leux, mais il n’arrive pas à effacer l’impression que la pièce raconte plus qu’elle ne montre.
L’œuvre est longuette. Mais pas au point de nous ennuyer ni d’empêcher nos esprits de se questionner sur les motivations du capitaine, qui tente de dominer Dieu et la nature, de ces hommes prêts à tout pour ramener un mammifère marin producteur d’huile, et de ce besoin qu’a l’humain de tout posséder ce qui existe sur Terre, de le dominer et de le soumettre.
Moby Dick sera présenté au TNM jusqu’au 17 octobre 2015