Il y a, pas très loin de chez moi, cette petite boîte d'échange de livres. Il y en a une autre qui connaît autant de succès, l'initiative d'un résident, toujours dans le même quartier mais à une station de métro plus loin.
Pour les non-initiés, c'est une boîte qu'on a fixée temporairement au trottoir durant la saison estivale. Une boîte noire sans touch screen ni logo, dépourvue de toutes approches marketing. Une boîte avec une porte en plexi qu'on ferme à l'aide d'un crochet. On se demande probablement même ce qu'une boîte peut bien faire là, pourquoi une boîte?
Cette boîte pourrait servir à tout et surtout à rien du tout, c'est une boîte comme on en voit à tous les jours et qui échappe la plupart du temps à notre attention. Mais à cette boîte qui pourrait être n'importe laquelle des boîtes, on a donné une fonction. Quand on s'approche, on peut lire sur celle-ci: prenez un livre et laissez-en un à votre tour!
Alors les gens prennent des livres et en déposent à leurs tours. Avec l'habitude, ils ont même fini par y glisser quelques vieilles cassettes VHS. D'autres fois, ils laissent de la nourriture. Je capote toujours un peu à l'idée d'y retourner pour voir ce qu'on a pu y insérer.
Dans un monde axé sur le progrès numérique, cette boite est apparue dans ma vie comme une véritable révolution. Un banal objet issu du monde ancien combiné aux paradigmes du monde nouveau. Il y a quelque chose de très Internet dans la manière de procéder. Comme si on avait transposé les Napster, Limewire et PirateBay dans la réalité, au coin de chez nous. Une boîte dont le système est basé sur le modèle peer-2-peer. Une vulgaire boîte qui n'a l'apparence de rien d'autre qu'une boîte mais qu'une fois entre les mains des citoyens prend l'aspect qu'on décide de lui donner.
Très Internet.
Quand l'expérience virtuelle surclasse celle de la réalité
Depuis quelques années, l'expérience offerte par le monde virtuel a su rapidement surclasser celle qui m'est proposée par la réalité, de manière à ce que tout me paraisse désuet, comme si plus rien n'était conçu pour moi. L'univers que j'entretiens sur les médias sociaux, mes habitudes de consommation dans le cyberespace, absolument tout ici s'avère à être nettement plus efficace, intuitif.
Nostalgique, j'aimerais pourtant renouer avec la réalité que j'ai laissée derrière moi en 1997 mais c'est qu'on est à un point où il est tellement trop tard pour reculer, pour tout déconnecter et recommencer à nouveau comme si la révolution numérique n'avait jamais eu lieu. Ces outils nous sont désormais essentiels, autant ils peuvent empoisonner la vie.
Je suis coincé ici et pas métaphoriquement. Je suis vraiment coincé. Il m'arrive, oui, de déconnecter sporadiquement, d'entreprendre un séjour momentané dans l'autre monde et une fois sur place je me demande pourquoi sur mon passage ne se trouvent donc pas des bulles de lecture, par exemple. Une petite cabine à l'intérieur de laquelle je pourrais m'installer pour lire, recharger le téléphone, rédiger des textes ou tout simplement relaxer. Ou encore, un green square à la sortie d'une station de métro, où on aurait recouvert l'asphalte de peinture verte pour indiquer qu'on se trouve dorénavant dans l'espace vegan qui réunit cafés, restos et épiceries.
Mais non. Tout est pensé en fonction des gens qui se rendent au travail entre 9 et 5. On pense pratique et c'est tout.
Je suis d'avis qu'il faudra un jour indubitablement que le vieux monde s'adapte aux connaissances du nouveau, comme on l'a fait avec la boîte d'échange de livres. Demander aux gens de ranger le iPhone (ou imminemment les lunettes de réalité virtuelle) pendant le souper ne suffira plus, il faudra que la réalité ait plus à offrir pour qu'on ait envie d'y séjourner plus longtemps que quelques minutes seulement, sans quoi nous pourrions nous enfoncer davantage dans l'envoûtant univers qu'on a repensé et qui a donné naissance à de nouveaux paradigmes propices, tant à la formation spontanée de communautés totalement autosuffisantes et autodidactes qu'à l'optimisation de l'expérience individuelle.
Il faut donc se montrer crissement déconnecté pour nous dévoiler en 2015 un projet de 1,7 milliard$ comme celui du Quinze 40 quand tout ce dont le monde a besoin présentement c'est d'une petite boîte d'échange de livres. De faire absolument tout à partir de presque rien, de ce qui est déjà à notre disposition.
Nous sommes malades et il faut refaire le monde une petite boite d'échange de livres à la fois.
Je vous déteste.