Il arrive parfois que les mots seuls ne suffisent plus. C’est dans ces moments critiques que le travail périlleux de photojournalistes dépêchés aux quatre coins du monde prend tout son sens. Qu'il soit question de tuberculose dans les prisons au Kirghizistan, de la crise de réfugiés en Tunisie ou des séquelles du tremblement de terre en Haïti, le photographe français William Daniels capte des gens aux prises avec des situations difficiles, donnant un visage humain à ces nouvelles internationales qui peuvent nous sembler bien loin.
Ce collaborateur au National Geographic, TIME, Newsweek, The New York Times et Le Monde s’est rendu en République centrafricaine (RCA) à plusieurs reprises au cours de la dernière année afin de rendre compte de graves violences interreligieuses et d’une crise humanitaire qui ne cesse de se détériorer. Il a d’ailleurs remporté un prix dans la catégorie «General News» cette année au World Press Photo pour une série de photos prises pour TIME. Alors que Montréal accueille depuis mercredi les lauréats de ce prestigieux concours de photo international, Nightlife.ca s’est entretenu avec Daniels à propos des dangers du métier, de ses rapports avec les groupes armés en RCA et de l’avenir du photojournalisme.
NIGHTLIFE.CA: Dans votre série primée «Chaos en République centrafricaine», vous nous présentez des milices rivales: une coalition de rebelles musulmans (la Séléka) ainsi qu'une milice chrétienne d’autodéfense (les anti-Balakas). Comment gagner la confiance de chacun de ces groupes armés et plutôt imprévisibles?
William Daniels: Je n’ai pas vraiment accompagné de Séléka à proprement dit mais plutôt visité certaines dans leurs bases en avril dernier, avec l’accord de responsables haut placés. C’est ce contact qui fait tout et qui nous protégeait. Pour les anti-Balakas, ils étaient assez faciles d’accès. À ce moment là (début décembre), Ils étaient très ouverts aux journalistes; persuadés qu’ils faisaient un vrai travail de résistance patriotique – ce qui n’était pas faux – et donc heureux et même fiers qu’on s’intéresse à eux. C’était donc relativement simple de les rencontrer et de les photographier. Ensuite, les choses se sont compliquées quand eux aussi ont commencé à commettre des exactions barbares, peut-être même pires que la Séléka. Après quelques mois, ils ont compris que les journalistes allaient aussi montrer ça.
William Daniels / Panos Pictures pour TIME
Alors que la presse internationale traque les attentats du groupe islamiste nigérian Boko Haram et l'intervention française au Mali, le conflit en RCA – qui a plongé le pays dans une crise prenant rapidement des airs de génocide – est loin de défrayer la chronique. Ayant suivi l'évolution de la situation sur le terrain au fil des mois, comment expliquez-vous une telle négligence généralisée?
Je pense que le conflit en RCA est vu comme un énième conflit africain dans un pays que personne ne situe vraiment. C’est un pays négligé car sans enjeux pour les grandes puissances. Trop peu de ressources ou trop difficiles à exploiter. À part la France qui a un lien historique et militaire, personne ne s’y intéresse. Très peu de médias internationaux s’intéressent à la RCA.
La journaliste française Camille Lepage de l'AFP a été assassinée en République centrafricaine il y a quelques mois. Avec le sort qu'a récemment connu le reporter américain James Foley, enlevé en Syrie en 2012 puis abattu par des djihadistes de l'État islamique, diriez-vous que le métier devient de plus en plus dangereux?
Je ne sais pas, mais il est clair qu’il est plus difficile d’avoir du soutien financier en tant que freelance et donc peut être plus difficile de se protéger, car cela peut coûter cher (bons «fixers», bonnes voitures, bons chauffeurs, etc.) Je pense qu’il y a aussi, avec la généralisation d’Internet, une prise de conscience de la part des différents belligérants que les images pourront témoigner de tout, de chaque coté avec ses conséquences et donc que le journaliste peut être «nuisible» pour eux. Dans ce sens, Il y a peut-être un plus grand risque à couvrir ces crises.
Vous avez récemment donné un atelier de photographie pour les jeunes à Istanbul, lors du lancement de l'expo WPP là-bas. Les jeunes s'intéressent-ils généralement au type de travail que vous faites? Comment entrevoyez-vous l'avenir du photojournalisme?
Non, je ne pense pas que les jeunes s’intéressent particulièrement à mon travail. Mais c’était l’occasion pour eux de rencontrer un photographe un peu plus avancé. Je ne sais pas trop comment va évoluer le métier. J’espère que des solutions de financement vont se développer car commencer aujourd’hui ce métier, c‘est très difficile. Ça l’était déjà il y a une dizaine d’années quand j’ai commencé, mais c’est pire aujourd’hui.
Quels sont les photographes ou photojournalistes du moment dont le travail vous inspire?
J’aime beaucoup de photographes aux styles complètement différents, Cela va de Philip-Lorca diCorcia (photographe de mode) à Paolo Pellegrin (photojournaliste Magnum Noir et Blanc). Ce qui m’intéresse, c’est avant tout des écritures, des ambiances, des sensibilités, bien plus que des compétences journalistiques.
Si vous deviez choisir une de vos images pour résumer l’année 2014 jusqu'à présent, ce serait laquelle?
William Daniels—Panos for TIME
Ce serait celle d’un blessé centrafricain lors de combats entre Chrétiens et Musulmans à Bangui en février. C’st une image assez forte que TIME avait publiée en double page, et qui résume assez bien ce que j’essaie de faire. Du reportage, mais qui peut raconter quelques chose de plus général. Une image qui devrait, j’espère, rester, dans les mémoires.
World Press Photo Montréal
Du 27 août au 28 septembre au Marché Bonsecours