Simon Beaulieu, 5 films qui t'ont marqué?
Le premier film documentaire qui m'a jeté sur le cul, c'est L'Acadie l'Acadie!?! de Michel Brault et de Pierre Perrault. J'avais 18-19 ans, je connaissais peu de choses à l'époque, ça m'a vraiment chamboulé. Après ça, il y aurait probablement un film de Gilles Groulx. Peut-être Entre Tu et Vous ou Le Chat Dans Le Sac, je sais pas. Un film iranien de Mohsen Makhmalbaf, Un Instant d’Innocence. Il mélange la fiction avec le documentaire de façon très habile. Chronique d'un été de Jean Rouch et Edgar Morin, film incroyable. Je pense aussi que je mettrais The Tree of Life de Terrence Malick. Dans la forme de Miron, il y a un petit peu d'influence The Tree of Life, de vouloir faire un film plus organique, de faire des scènes complètement oniriques.
Crédit: Marc-André Lapierre
Avec Miron tu construis un discours qui interpelle les masses. D'avoir pris un homme comme Gaston Miron, ça permet aussi de faire un pont entre les générations avec des mots du passé actualisés au temps présent. T'en penses quoi de notre Québéc d'aujourd'hui? Comment s’est réfléchie ton approche avec le film?
C'est tellement complexe. C'est sûr que si je m'intéresse à des personnages comme Miron, je m'intéresse au passé. Pour sa littérature, la grandeur de sa poésie, L'Homme Rapaillé est incroyable comme recueil de poésie. Le fait de m'intéresser à cet homme, de réfléchir à son influence et à essayer de mettre en parralèle son discours, sa lutte, avec aujourd'hui, c'est peut-être parce que je ne me reconnais pas complètement dans le portrait du temps présent. Mais en même temps, c'est un dilemme parce que ça peut être une forme de nostalgie, mais je ne suis pas du tout nostalgique.
En fait, je dis ça dans le film: comment se fait-il que la société québécoise n'a pas été capable de se doter d'un vrai projet de société pour affronter l'avenir? De défendre Miron, de défendre cette culture-là, c'est de rappeler qu'il y a quelque chose à défendre. C'est la mémoire, l'histoire du lieu dans lequel on vit. Ça, c'est vraiment important. Mais en même temps je ne voulais pas faire un film à discours politique, je voulais faire un film sur Miron, sur la grandeur de son oeuvre, je voulais travailler avec Karl Lemieux, je voulais trouver un moyen d'insérer de l'expérimental dans un film naratif. Moi, mon combat, c'est la mémoire. C'est de se rappeler de ces gens qui ont fait les choses avant nous. Je ne cacherai pas que je suis indépendantiste. Mais je ne veux pas me mêler à aucun parti. Je pense que c'est important d'avoir des voix plus en marge, qui font une forme de politique, mais qui n'est pas dans la politique. Je voulais faire un film qui dit, regardez-vous, regardez votre passé, regardez la grandeur historique de votre passé, si vous ne l'enseignez pas aux autres, si vous n'avez pas un projet de société, ces gens-là vont être oubliés, ils vont disparaître et vous aussi, dans la foulée.
En visionnant le film, on se dit que le travail de montage a du être fou?
Ça fait 10 ans que je veux faire ce film. Quand j'ai fini Godin, je sentais que je n'étais pas allé complètement au bout de ce que je voulais faire comme film. Je sentais qu'il y avait quelque chose encore à développer. Pour Miron, je voulais faire un film sur sa parole, je ne voulais pas en faire un film d'anecdote. Je voulais quelque chose de plus artistique. Je me suis demandé ce que ça ferait si je mettais en parrallèle les archives de Miron, avec les archives de l'ONF de la même époque. Au moment où Miron faisait ses poèmes, à la même époque, les cinéastes à l'ONF faisaient la même chose, mais en film. Ils allaient voir les ouvriers, filmer le territoire. Qu'est-ce qui arriverait si j'utilisais les films du passé de l'ONF pour faire un film comme si j'étais dans la tête de Miron, comme si j'étais dans la conscience collective québécoise? Après ça, je me dis que ça serait le fun d'amener un autre élément, d'actualiser cette chose pour lui donner une forme au temps présent. C'est là que j'ai pensé à Karl Lemieux du cinéma expérimental. À travers la mémoire, la poésie, on avait l'impression d'utiliser les images du passé, mais comme si le film se faisait aujourd'hui.
Pour le travail de montage, je suis allé fouillé dans les archives de l'ONF, environ 6-8 mois de plans que j'ai écoutés, re-écoutés, quelque 50 000 plans dans les trucs de l'ONF. À partir de ça, je me suis fait une base d'images et j'ai monté le film avec René Roberge, mon monteur, durant 6 mois. Pendant le montage, il y a eu des périodes de travail avec Karl Lemieux, il est intervenu trois fois dans le processus. On lui donnait des plans en haute résolution, il passait ça sur un écran Mac plat avec une caméra 16 mm en plongée parfaite. À partir de ça, il developpait lui-même la pellicule. Pour le film, il a entre autres fait beaucoup de polarisation. C'est vraiment quelqu'un qui travaille exceptionnellement bien. Donc, ça n'implique que du plaisir.
Miron: un homme revenu d’en dehors du monde
En salles le 14 mars