Un vendredi soir qui démarre sans histoire.
Accoté au bar de la Brasserie Bernard, en compagnie de mon fidèle wingman Mathieu, je sirote un Glenlivet et je laisse mon regard se perdre en direction du corps d’une rousse qui nous sert: elle est élégante, grande, relativement jeune et fraîche. Les regards se croisent et nous échangeons quelques sourires. Mais même si elle court après moi sous la pluie pour me redonner mon foulard oublié sur ma chaise, je ne retire rien de spécial de cet instant potentiellement romantique.
Car auparavant, j’ai fait l’erreur de lui parler.
Je n’aurais jamais dû lui adresser la parole. Cultiver le mythe de sa personnalité aurait fort probablement été plus réjouissant au final. J’en connais déjà trop sur cette fille. L’attrait du mystère est complètement disparu. La chasse est terminée sans même avoir pu commencer.
Après tout, je suis blasé.
Par contre, j’étais loin de m’imaginer que quelques minutes plus tard, après avoir mis les pieds au resto Mile-Ex, que la rencontre d’une parfaite, et magnifique, inconnue allait me redonner confiance en la vie (amoureuse).
Qui est la belle inconnue?
Le Mile-Ex est à l’image du quartier duquel il tire son nom: un lieu intime pour belles gens. Et ce soir ne fait pas exception. Deux blondes au comptoir, quelques filles à la table d’à côté, mais surtout, une belle brunette assise au bout de notre table longue. Elle est accompagnée d’une amie très respectable physiquement qui arbore une paire de lunettes à grosse monture. Je suis toujours accompagné de Mathieu. Le reste du repas consiste à planifier notre approche.
Comment les aborder? La superficie du resto est si restreinte qu’il est impossible de nous approcher d’elles. Leur offrir des verres signifierait du même coup à tous les gens présents dans le restaurant que nous tentons notre chance avec ces deux filles. Une mauvaise réception de leur part pèserait lourd sur notre orgueil. Oui, il faut du courage pour aborder deux inconnues dans un lieu public. Comme l’illustre Louis C.K., c’est assez étrange, voir incompréhensible, que le processus fonctionne encore en 2013.
Et s'ensuivent toutes les questions d’usage. La belle inconnue est-elle célibataire? Ou est-ce son amie qui l'est? Attendent-elles leurs copains? La belle inconnue sera-t-elle davantage intéressée à Mathieu ou à moi? Qui est maintenant le wingman de qui?
Et j’extrapole beaucoup trop. Est-elle intéressante? Est-elle étudiante? Est-elle en contrôle d’un début de carrière? Dans quel domaine? Est-ce un domaine créatif? Est-ce un domaine complémentaire au mien? Est-elle indépendante de fortune? Est-ce important?
Après deux verres de Cabernet-franc, un succulent squid roll et beaucoup trop de questions introspectives, la belle inconnue se lève, son amie aussi, balaie Mathieu du regard, m’aperçoit, fige quelques secondes et amorce sa sortie du restaurant.
Je ne reverrai jamais cette belle brunette, au visage doux, aux yeux amandes, au corps élancé, toute de noir vêtue. Je n’en suis pas trop insatisfait. J’ai évité la déception après tout. Mais en arrivant chez moi, j’attrape le film Swingers (1996) à la télévision. Le désabusement me quitte, je retrouve mon courage, bref, je change complètement d’idée.
Je veux revoir cette inconnue. Je veux en apprendre davantage sur sa personne. Je veux savoir ce qui la fait rire, ce qui la rend triste, ce qui l'excite, ce qui la rend folle (de moi). Je veux assouvir ma curiosité envers sa personne. Je suis enivré, et je veux maintenant aller au bout du mystère. Pour le mieux, ou pour le pire, peu importe. J’ai le goût de vivre cette aventure. J’ai le goût de vivre quelque chose, tout simplement. Avec elle.
Belle inconnue, si tu lis ces lignes, manifeste-toi.
Je veux te connaître.
Un vendredi soir qui démarre sans histoire.
Un vendredi soir qui se termine par une histoire à suivre…