Ce n'est pas si fréquent de voir le titulaire d'une chaire de recherche en esthétique et poétique vanter les mérites de Twitter. Pierre Ouellet, invité d'honneur du Salon du Livre, a osé le compliment. Poète, romancier, essayiste, il combat l'asphyxie de la liberté de parole, et comprend très bien l'intérêt des médias sociaux, microblogging inclus.
Porté sur la « mutation des sensibilités » imputables à la littérature, défendant bec et ongle le style littéraire face à la « langue du sens commun », il a surtout titillé notre attention avec Livres comme l'air, un projet littéraire et diplomatique qui jumelle dix écrivains québécois à dix écrivains persécutés aux quatre coins du monde pour leurs idées. Il en est le porte-parole.
Nightlife.ca : Qu'est-ce qui pilote votre soutien à Livres comme l'air?
Pierre Ouellet : La littérature, c’est toujours un combat pour la liberté de parole. Il faut la partager avec l’humanité au complet. C’est essentiel de prendre la parole pour ceux qui ne l’ont plus : les écrivains persécutés, emprisonnés, pour leur transmettre de l’air libre que nous respirons et lutter contre l'oppression.
Quel jumelage vous paraît le plus marquant cette année?
Je suis moi-même jumelé avec Akram Aylisli, d’Azerbaïdjan. Il dénonce les propos racistes et les exactions contre les Arméniens chez son propre peuple. Le gouvernement, aidé de certains médias, a lancé contre lui une campagne de dénigrement. Il a été déchu de tous ses droits. Sa maison a été saccagée, ses livres brûlés.
Plus de 60 libérations, tout de même, ont accompagné le projet. Comment l’expliquer?
Nos dédicaces et nos livres ne sont pas le seul facteur, bien sûr. Livres comme l’air a été un grain de sable. Il y a eu des pressions faites par Amnestie internationale, le P.E.N… Ce sont l’ensemble des actions diplomatiques, lobbyistes aussi, et littéraires, qui ont conduit à ces libérations.
Vous présentez votre dernier livre Portraits de Dos, à forte portée stylistique. La littérature québécoise fait-elle encore du style, ou êtes-vous l’oiseau rare ?
Il existe encore des stylistes, mais cette littérature est peu médiatisée. Catherine Mavrikakis ou Serge Bouchard ont une voix très singulière. Je crois que la littérature, ce n’est pas seulement du story telling – c’est-à-dire des synopsis de cinéma ou de télévision. C’est avant tout une voix qu’on aime entendre. C’est grâce au travail sur les mots qu’on fait surgir l’inouï. Trop de livres s’écrivent dans la langue du sens commun.
A quoi ressemble la littérature québécoise aujourd’hui?
Il n’y a pas vraiment d’école. Néanmoins, on sent une inquiétude face à l’histoire : on a comme l’impression qu’elle est terminée, ou qu’elle évolue vers le pire. Le ton est parfois apocalyptique. Mais l’histoire nous enchaînait. On en attendait trop de l’Etat, des pouvoirs publics. Il y a un repli sur la singularité qui se fait à travers la sensualité, la spiritualité.
Faut-il mettre à la poubelle les nouvelles logiques publicitaires qui accompagnent le livre ?
Je vois les choses de façon plus large : les médias sociaux, les blogs, jouent un rôle important dans la diffusion de la littérature, et pas nécessairement au détriment du livre. Le numérique et le papier peuvent s’épauler mutuellement.
Est-ce que ces textualités (numériques) peuvent renouveler la littérature?
Oui, sans doute. On trouve de tout sur le web, des choses très rigoureuses, d’autres… un peu molles. Cela dit, il y a aussi les contraintes de Twitter qui poussent à de nouvelles recherches langagières.
On termine! Quels écrivains recommanderiez-vous dans ce Salon?
Beaucoup d’auteurs qui me sont chers : Yvan Rivard qui a reçu le prix du Gouverneur général, René Lapierre qui a écrit un très beau recueil de poèmes… A chacun ici de trouver ce qu'il cherche!
Pierre Ouellet | Salon du Livre de Montréal 2013 | Place Bonnaventure
samedi 23 novembre, 12h30, Espace Archambault
dimanche 24 novembre, 13h00, Carrefour Desjardins
salondulivredemontreal.com