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Sunglasses at Night (#01): Ziad Touma

Sunglasses at Night est une chronique bimensuelle qui donne carte blanche à un collaborateur du magazine – ancien ou actuel – pour partager une date, un endroit et un souvenir du nightlife montréalais tiré de leur scrapbook personnel de virées nocturnes.

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Montréal, un 1er mai 1993: you gotta fight, for your right, to paaaaaarty!
par Ziad Touma

La semaine dernière, je me saoulais la gueule dans un bar punk de Zürich. Celle d’avant, j’étais invité à l’inauguration d’un tout nouveau club de billard chic à Hong Kong. Il y a quelques années, j’ai dansé toute la nuit dans le désert de Burning Man et sur les plages de Sydney. J’ai pris part à la Love Parade de Berlin et au Kanaval de Port-au-Prince. J’ai fêté la veille du jour de l’an dans un rave à Tokyo et dans un bar de Cape Town. J’ai cassé des assiettes dans la discothèque d’une île grecque et brisé des cœurs dans un bar souterrain de Beyrouth.

N’importe où que je sois dans le monde, à chaque fois que je mentionne que je viens de Montréal, les gens écarquillent les yeux comme s’ils avaient entendu parler de la réputation de notre ville salope, comme s’ils connaissaient un bout du secret de notre vie de débauche nocturne. Car même si j’ai fait le party un peu partout à travers la planète, rien ne se compare aux nombreuses soirées mémorables que j’ai passées à Montréal, dont certaines resteront inoubliables.

Prenons par exemple la nuit du 1er mai 1993. Je sais que certains d’entre vous sont nés cette année-là, mais nous, on sentait qu’on réinventait le monde. J’avais invité ma meilleure amie Stéphanie à m’accompagner à la performance d’Annie Sprinkle, cette fameuse prostituée new-yorkaise qui s’était recyclée en éducatrice sexuelle comico-trash. Durant sa prestation, elle invitait le public à la rejoindre sur scène pour prendre des photos de son col de l’utérus, qu’elle exhibait en insérant un spéculum dans son vagin! Nul besoin de vous dire que l’escouade de la moralité a débarqué en menaçant de suspendre et bannir le spectacle. Si Montréal est reconnue pour ses danses contacts, ici, on ne touchait peut-être pas la chair, mais on voyait plus de peau que jamais auparavant. Annie Sprinkle a interpellé les hommes en uniforme debout près de la porte et les a invités à se joindre aux spectateurs pour une petite leçon de cul.

Depuis l’époque de la prohibition, Montréal a toujours su pousser les limites de l’interdit et jouer sur la ligne fine qui distingue la provocation de l’illégalité.

Suite à ce spectacle mythique, Stéphanie et moi nous sommes dirigés vers le Palais du commerce pour l’événement H2O, le deuxième rave officiel de l’histoire de Montréal. La musique techno venait tout juste d’être importée d’Europe et les gens savaient à peine danser sur ces rythmes nouveaux. Avec nos chapeaux de lutins, nos sifflets de sauveteurs et nos fausses fourrures fluo, quoi de plus excitant que de sentir qu’on inventait de toutes pièces une nouvelle mode vestimentaire et tout le mode de vie qui a été attribué à la scène rave dans les années qui ont suivi. Mais imaginez qu’en plein milieu de cette soirée, alors que le party battait son plein, les lumières se sont soudainement allumées au grand complet, éblouissant la foule, devant qui est apparue une barrière humaine de l’escouade anti-émeute! Ils ont vite fait d’évacuer la piste de danse pour poursuivre leur assaut dans la rue dans un face-à-face complètement antagoniste à l’esprit de la fête. Quelques jeunes se sont même fait pourchasser et injustement battre par cette armée de maniaques à matraques. C’était notre version de Stonewall.

Aujourd’hui, alors qu’on prend notre nightlife pour acquis, je me suis souvenu que lors de cette légendaire soirée, on a tous un peu grandi et appris que n’importe où on irait faire la fête dans le monde lorsqu’on serait grand, Montréal resterait la plus belle expression de notre liberté, car c’est le terrain de jeu privilégié qu’on s’est battu pour bâtir.

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Ziad Touma a été chroniqueur et chef de pupitre pour le magazine Nightlife. En tant que cinéaste, il a souvent mis en scène l’univers de la nuit, entre autres dans son premier long métrage Saved by the Belles, son court métrage Line-Up et le docu-variété Folles nuits (Société Radio-Canada).

 

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